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Peter Pan sans sucre ajouté

Durant mes courtes années d’études, une grande déception, sur le plan pédagogique, reste l’enseignement de l’anglais proposé à l’époque aux aspirants géographes. En effet, lors du tout premier cours, notre professeure nous expliqua sa méthode, qu’elle résumait comme suit : « You’re gonna learn, but I ain’t gonna teach ». Mes camarades qui avaient choisi l’allemand ne furent guère mieux lotis ; là aussi le credo ressemblait à un vague « demerden Sie sich ».

Ainsi, tandis que les enseignants flânaient dans le centre de ressources en langues, les étudiants motivés et volontaires (pas si nombreux, donc) tâchaient de s’instruire par eux-mêmes. N’étant pas autodidacte pour un sou, j’allai au plus simple et décidai de profiter de ces trois heures hebdomadaires pour rattraper mes lectures en retard, mais dans la langue de Byron bien entendu.

Me voilà, à dix-huit ans et deux mois et demi, fraîchement débarqué de mon village natal d’à peine mille trois cents âmes, à pousser les portes d’une grande librairie internationale pour y choisir un livre à même de perfectionner mon anglais. Après quelques hésitations entre les rayonnages, je jetai mon dévolu sur Peter Pan de James Barrie (Peter Pan and Wendy, dans sa version roman, pas en pièce de théâtre).

Je ne l’avais jamais lu, et ne connaissais que le long-métrage d’animation des studios Disney. Si tel est votre cas, ou si vous comptez vous plonger un jour dans l’œuvre originelle, alors quittez ce billet, car je m’apprête à en dévoiler certains passages (en français), et ce sans la surcouche d’édulcorant hollywoodien.

Loin de moi l’idée de voler votre temps, comme Peter Pan le fait cruellement avec de petits Londoniens. Aussi, je ne retiendrai que quelques extraits parmi tous ceux que j’ai stabilotés lors de ma lecture en 2011.

En guise de préliminaires, commençons par la relation entre Peter Pan et les pirates. Si dans les films, leurs affrontements s’achèvent sans effusion de sang ; dans le livre, il en retourne autrement :

— Regarde en dessous de nous, il y a un pirate endormi. Si tu veux, on peut aller le tuer, dit Peter.

— Tu en as tué beaucoup ? demande John.

— Bien sûr, répond fièrement Peter. Il y en a des tas dans l’île. Leur capitaine c’est Crochet.

Et Peter Pan n’est pas le seul à passer à l’acte (et à s’en réjouir) :

Pendant ce temps-là, Wendy s’était tenue en dehors du combat, regardant Peter avec des yeux brillants. Maintenant que tout était terminé, elle retrouva son importance. Elle les admirait tous également, et frissonna délicieusement quand Michael lui montra la place où il avait tué un pirate.

Voilà, l’abcès est percé. Le petit chenapan dépeint par Disney se révèle en fait un assassin sans scrupule qui n’hésite pas à poignarder ses ennemis dans leur sommeil. La méthode des enseignants du centre de ressources en langues n’était pas si mauvaise ; je venais d’apprendre ma première leçon : méfions-nous des scénaristes américains et de leurs excès de sucre ajouté.

Désillusion suivante : les enfants-soldats, euh non : les enfants perdus. J’avais comme vague souvenir que Peter Pan et les enfants perdus (en fait kidnappés par Peter) évoluaient dans un superbe pays imaginaire, où ils ne grandissaient pas. Erreur ! cette contrée féerique existe bien. En revanche, seul Peter s’y voit exonéré de l’action du temps. Les autres bambins s’y épanouissent normalement jusqu’à ce que :

Le nombre d’enfants varie en fonction de ceux qui sont tués dans les combats mais aussi de ceux que Peter supprime parce qu’ils ont grandi.

Charmant, n’est-ce pas ? Le fond de l’histoire est donc le suivant : Peter Pan est un maniaque qui kidnappe des gamins, les arme et les force à affronter des pirates adultes, puis les exécute selon son bon vouloir. Décidément, la méthode du « You’re gonna learn, but I ain’t gonna teach » se montre d’une efficacité redoutable ; seconde leçon apprise : gardons-nous bien de glisser entre des mains juvéniles des textes avant de les avoir lus.

Citons à présent l’encyclopédie en ligne Wikipédia : « Plusieurs analystes, et spécialistes de Barrie, indiquent que Peter Pan est avant tout l’histoire de Wendy, avant d’être celle du héros titre, et en font une histoire féministe. »

Libre à vous de consulter les écrits de ces prétendus spécialistes. Mais avant d’explorer leurs thèses, permettez-moi de citer à nouveau le texte originel (Peter parle à Wendy) :

Si tu voulais venir avec moi, tu pourrais devenir leur maman, pour raconter des histoires, repriser les chaussettes et faire la cuisine. En plus, je t’apprendrai à voler.

J’aurais encore pu commenter l’importance toute relative que Peter attribue à ses rivaux comme à ses amis. Ici, le capitaine Crochet :

— Qui est le capitaine Crochet ? demanda-t-il avec curiosité quand elle lui parla de l’ex-ennemi numéro un.

— Comment ! s’étonna-t-elle. Tu ne te souviens donc pas comment tu l’as tué et nous as sauvé la vie ?

— Je les oublie dès que je les ai tués, avoua-t-il avec insouciance.

Ici, la fée Clochette :

Quand, sans trop y croire, elle demanda si la fée Clo serait heureuse de la revoir, il répondit :

— Qui est la fée Clo ?

— Peter ! dit-elle, scandalisée.

Mais elle eut beau lui expliquer, il avait tout oublié.

— Tu comprends, dit-il, elles sont si nombreuses. Je suppose que celle-là est morte.

Mais, je préfère terminer par la phrase qui clôt le roman :

[…] et les choses continueront ainsi, aussi longtemps que les enfants seront joyeux, innocents et sans-cœur.


Bilan de ma lecture : mon anglais se porte un peu mieux, contrairement aux reliquats de mon âme de petit garçon…

Billet de Jérôme Hohl,

auteur de Les derniers matins calmes de la Renarde,

à paraître en mars 2024.

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