Parler de soi, même si c’est par le truchement d’un personnage fictif, n’est pas le signe impudique d’un égocentrisme exacerbé. Il peut y avoir beaucoup de pudeur à s’évoquer dans les lignes d’un roman. L’exercice est périlleux car il n’y a qu’un seul protagoniste : la voix du « Je ». Si le lecteur n’adhère pas au héros, peine perdue, il ne lira pas le récit jusqu’au bout. L’exercice pour le réussir doit être soit une voix unique qui embarque le lecteur dans un univers particulier, soit un regard profond sur soi qui permet de parler à tous.
Dans Celui de nous deux, la voix est celle d’un trentenaire, notable et notaire dans une ville désignée comme : la ville du bord du fleuve. Marié, père d’un enfant, ce trentenaire s’ennuie dans la vie, il est paresseux de cœur. C’est cette voix introvertie qui va nous parler, nous raconter, nous disséquer cette paresse. Ce personnage fouille son intimité pour se mettre à nu. Quel est le processus qui conduit un fils de bonne famille en jeune homme empêtré dans son déterminisme social ? Membre de la bourgeoisie de cette ville, il est destiné à perpétuer la charge des parents. Sa seule respiration est une Belle Histoire et une Inavouable. Deux qualificatifs qui seront les identités de ces deux protagonistes qui viendront en souvenirs et présent, un va-et-vient entre hier et maintenant. Le « Je » transpose la paresse de cœur en souvenir mélancolique, tout est expliqué, rien n’est caché, tout se révèle que ce soit au personnage comme au lecteur. Une aventure intimiste sans être ostentatoire. L’impudeur ne consiste pas à étaler sa vie et ses tracas pour se raconter.
Dans Boutique Hôtel, c’est le regard que pose le personnage sur son jeune parcours de vie, avec ses failles, ses petits bonheurs, les opportunités qu’offrent le hasard des rencontres et la pesanteur du déterminisme. Fils de divorcés, en conflit avec le père, issu d’un milieu modeste, il se sent coupable de s’être émancipé de sa condition sociale en rencontrant celui qui va devenir son compagnon. La vie du couple, la lassitude du quotidien, le désir de la nouveauté ont eu raison du couple. Et c’est en vacances, seul, que le moment de se reconstruire, avec l’aide d’une vieille dame rencontré par hasard, que le processus de résilience commence. Parler de soi en raclant sa vie, en expurgeant les faux-semblants, permet de rassembler, d’écrire sur un fond commun d’humanité. Plus je fouille en moi, plus je trouve l’autre, car au fond nous sommes tous issus de la race humaine. La magie de la rencontre, l’installation du couple, l’usure du temps, la rupture ; les interrogations, tous les personnages de ce roman y sont confrontés, et autant de pistes pour le lecteur pour se reconnaître dans ces méandres.
Le travail de l’auteur dans l’autofiction est de parler au lecteur, le récit est prétexte de révéler le lecteur, une sorte de renaissance par la lecture. Le « Je » devient universel. L’autofiction est une initiation à soi-même.
Christian Dorsan
Parus chez Vibration éditions :
Boutique Hôtel (2020) et Celui de nous deux qui part le premier (2019)
Vient de paraître Marnage, roman noir (2023)
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