Le Bovarysme (entre autres raisons de se réjouir)
- Jean-Baptiste Engler

- 6 mars 2023
- 2 min de lecture
Et sur cette plaine désolée il découvrit bientôt, comme chacun le découvre tôt ou tard, qu’il avait perdu le pays des Elfes, écrivait Lord Dunsany dans La Fille du Roi des Elfes (1924).
Cette ligne ne se contente pas d’annoncer un rebondissement, à savoir la disparition du portail vers un royaume magique où le personnage principal doit se rendre. Elle déterre aussi une profonde angoisse des fantaisistes : celle de perdre de vue, avec l’âge, les sentiers broussailleux vers les contrées oniriques. De se réveiller un matin en les trouvant effacés de leur carte mentale.
On pourrait être tenté de se dire que cette issue est inévitable en contemplant les engrenages d’une société́ hautement chorégraphiée, mécanisée jusqu’au plus profond des âmes. Une société́ où les routes et les romances sont pareillement macadamisées 1. Grandir, c’est apprendre que le monde n’appartient pas à celles et ceux qui rêvent. Mûrir, c’est comprendre que l’imaginaire est une distraction, une faiblesse, un crime. Chacun est encouragé́ à n’être qu’un outil, industrieux de jour et bien rangé dans sa boîte la nuit. Le quotidien est synonyme de peine, l’autre est synonyme de concurrent et seule la nostalgie peut offrir un peu de réconfort.
Mais c’est ainsi que la machine vous soumet. En vous mentant et en vous vidant de vos couleurs. La réalité́ est toute autre.
Il n’est jamais trop tard pour faire de nouvelles expériences, quels que soit le poids de la routine et le nombre des ans. Il n’est jamais trop tard pour apprendre de nouveaux tours, pour fabriquer de nouvelles choses, pour goûter des mets inconnus, pour répandre un peu de joie autour de soi, pour voyager, pour tomber amoureux, pour prendre part à une révolution. Et bien sûr, il n’est jamais trop tard pour lire, rêver, tracer de nouveaux sentiers à travers les brumes couleur d’acier d’un intellect assoupi vers des merveilles qui n’appartiennent pas – encore – à ce monde.
Mais les étendues non cartographiées sont si vastes et le temps si rare et l’effort si coûteux, alors par où commencer ? Par un premier pas de l’autre côté d’une porte qui n’a jamais été ouverte ou est restée trop longtemps à prendre la rouille. Et à ce titre, les livres sont une clé́. Vous êtes libre. Libre de courir vers des temps, des vies, des mondes proches et lointains qui n’attendent qu’un visiteur attentif. Libre d’en rapporter les savoirs, les trésors et les couleurs dans votre vie.
En plus de divertir, de cultiver et de favoriser l’empathie 2, la lecture est le moyen le plus sûr de maintenir le portail ouvert vers le pays des Elfes, et bien d’autres lieux.
Il ne reste qu’à faire le premier pas. Des confins de la Sibérie aux étendues sablonneuses d’Afrique occidentale, des temples célestes de l’amour aux caveaux biscornus de la folie, les œuvres de fiction et de surfiction de Vibration vous emmènent là où s’arrêtent les cartes.
Jean-Baptiste Engler,
auteur de Le Chercheur de Fils, 2022
& Epîtres interdites, 2020.
1 Letitia Élizabeth Landon, Romance et Réalité, 1831.
2 Fiction reading has a small positive impact on social cognition: A meta-analysis, Dodell-Feder, D., & Tamir, D. I., 2018.




La Fille du Roi des Elfes, quelle superbe référence ! Merci pour cette réflexion, Jean-Baptiste.