Ma Steppe
- Vibration éditions

- 17 janv.
- 3 min de lecture
Jean d'Albis
Collection Poésie.
Extrait :
Quelques pas sur la voie du poète
Paris, la lumineuse.
L’immense steppe russe.
Deux inaccessibles toujours effleurés, toujours sublimés, toujours rêvés.
L’auteur n’y a jamais vécu, pour la première, jamais été, pour la seconde.
Et pourtant…
La Russie, tout d’abord. Comme une toile impressionniste, la géographie inimaginable est apparue, par touches successives au gré des rêveries, avec le temps, le recul. L’expérience.
Premier ébranlement. La chute du mur qui dévoile à l’auteur des origines oubliées de Bohème, d’Autriche et, au-delà, de la Russie immense. Avec cette dernière, la découverte d’un ancêtre direct, le Maréchal Mikhaïl Koutouzov, héros national en Russie, inconnu en France, parce qu’il chassa Napoléon lors de sa désastreuse campagne de l’hiver 1812.
Puis, successivement, au gré des trouvailles une Russie familiale, intime, incarnée, apparaît à l’auteur comme une série de touches de couleur.
La petite fille du Maréchal, Dolly, qui fonde l’un des plus prestigieux salons littéraires de Saint-Pétersbourg. Elle est intime de Pouchkine. Le poète russe s’inspire d’elle pour brosser les traits de Lisaveta Ivanovna, la petite servante malheureuse de la vieille comtesse, dans la Dame de pique.
A la lecture de Guerre et Paix, on apprend que le père de Dolly et gendre du Maréchal, du nom de Ferdinand von Tiesenhausen, un officier balte de la garde impériale russe, est tué au combat par les Français en portant dans ses bras le drapeau de son pays. Sa mort héroïque est immortalisée par Tolstoï dans la célèbre scène de la blessure du Prince André à Borodino.
A la mort du Maréchal, qui n’a pas de descendance masculine, la fortune des Koutouzov, le « prince paysan » comme on aime à l’appeler à la cour pour lui rappeler ses origines modestes, va tout entière à la famille collatérale la plus proche par les mâles, celle des comtes Tolstoï.
L’auteur apprend également que le prénom « élisalex », utilisé exclusivement dans sa famille, qui fut celui de sa mère, et sera celui de sa fille, n’est autre que la contraction des prénoms Élisabeth et Alexandre (Élise-Alex). Car à la naissance de la fille de Dolly, orpheline du jeune officier balte tombé pour la Russie, l’enfant sera choisie comme filleule par une marraine, la Tsarine Élisabeth et par un parrain, son époux, le Tsar Alexandre Ier.
La Russie, avec ses préfectures gigantesques et vides, ses moujiks rusés, serviles ou voleurs, ses jeunes filles naïves et malheureuses, ses hobereaux dégingandés, ses vieux soldats estropiés, et tous ses petits fonctionnaires, apparaît ensuite dans toute son immensité enivrante par les soirées du hameau de Gogol, par la steppe de Tchekhov, et, bien sûr, par Pouchkine et Lermontov. Tout cela sans oublier Andreiev avec ses nihilistes et ses brutes assassines.
Nourri des récits de la Kolyma de Varlan Chalamov, et d’Ivan Denissovitch, où rôde à chaque page l’âme poétique de Soljenitzine, l’auteur complète son imaginaire russe par de longues sorties en forêt, usant de « transects », tracés tout droit dans la nature, pour volontairement ne jamais emprunter de chemin, et aller, éperdument, à la recherche du secret, du perdu, du délaissé, du solitaire, de la souffrance, de l’oubli et du silence, la mort.
L’auteur se berce en France dans ce qui se rapproche le mieux, dans son imaginaire, de la steppe russe : les étendues monotones des Landes de Gascogne, mais aussi la garrigue provençale solitaire et le maquis des collines déchirées de Bosnie-Herzégovine.
L’ouverture à la steppe, c’est enfin la Procession religieuse dans la province de Koursk, du peintre Répine. Ces jeunes clercs qui transportent à travers une plaine désolée, aux arbres coupés, le catafalque couvert de rubans colorés, flottant dans le ciel comme autant de prières, suivis par l’interminable foule bigarrée, au centre de laquelle se serrent les riches et les puissants, derrière lesquels se trainent les pauvres et les estropiés, tous unis presque malgré eux dans ce qui ressemble à une dernière marche. On révèle à l’auteur à New York, dans la cathédrale orthodoxe — une des seules qui aujourd’hui n’est pas asservie au Kremlin — que le catafalque du tableau de Répine abritait l’icône révérée de la vierge de Koursk, aujourd’hui conservée dans cette cathédrale, et devant laquelle Koutouzov accompagné de tout son état-major vint se recueillir la veille de la catastrophique boucherie de Borodino.
Et Paris. Plus proche, et pourtant tout aussi inaccessible. Y aller, affronter les bus de banlieue, le métro, l’attente en station debout, le bruit, les couloirs bondés. Une fois arrivé, déambuler sans s’asseoir, sans nulle part se poser, sauf peut-être dans un café, comme un touriste. Mais fauché. Et toujours savoir qu’il faudra une bonne heure pour rentrer chez soi. La journée du banlieusard est plus courte. Il lui manque toujours l’heure merveilleuse, qui commence à Paris à sept heures du soir.
Et comme la steppe Russe, la ville lumière va se révéler à l’auteur par touches successives.
ISBN : 978-2-490091-88-1
18€




Commentaires