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Vengeance

Dernière mise à jour : 19 mars

Osveta

Philippe Paulin

Collection Fiction

Roman policier

Extrait :


— ÊTES-VOUS UN Grand LECTEUR, M. Morlock ? » me demande la femme assise en face de moi.

C’était mon dernier rendez-vous de la journée : une jeune femme plutôt séduisante, brune, dans les trente-cinq ans, les cheveux très courts et les traits affirmés. Ceux d’une sportive ou, en tout cas, d’une battante. Elle est vêtue d’un tailleur brun très classe et d’un chemisier crème qui lui vont à la perfection. Je ne connais pas encore l’objet de sa visite. Elle avait expressément demandé à me voir pour une affaire la concernant et pris rendez-vous il y a déjà plusieurs jours.

— Pour être franc, dis-je après quelques secondes de réflexion à évoquer les derniers magazines sportifs que j’avais survolés, je dois être dans la moyenne. Mais si vous me disiez ce qui vous amène ?

— Je m’appelle Diane Mestre, et je suis l’épouse de l’écrivain Baptiste Mestre, d’où ma question sur la lecture.

Le nom ne m'était pas inconnu, une histoire de prix littéraire ou quelque chose dans le genre. Je lisais en vérité plus que je ne lui avais avoué et le nom ne m’était pas inconnu, mais en l’occurrence, je n’avais rien lu de lui.

— Mon mari a été lauréat de plusieurs prix avec son roman Terre de feu. Vous en avez peut-être entendu parler ?

— Désolé, non.

Je ne me sens pas trop d’humeur à entamer une discussion littéraire, que j’ai peu de chances de pouvoir soutenir. Je fais un geste de la main pour l’inviter à poursuivre. Elle s’agite un peu sur sa chaise comme si elle ne savait pas trop comment continuer. Finalement elle ouvre son sac, un bel objet de marque Prada, en sort un livre au format de poche qu’elle pose sur mon bureau et le tourne de façon à ce que je puisse en lire la couverture, comme si elle distribuait des cartes. Au passage, je scrute ses mains et constate qu’elles ne sont pas manucurées mais plutôt marquées, les ongles sont ras et mal coupés comme ceux d’une travailleuse manuelle. Un détail que je classe dans une partie de mon cerveau, sans savoir vraiment pourquoi. Je lui fais un sourire encourageant. Elle hésite, sans doute pour trouver ses mots, puis elle explique :

— Il s’agit d’un livre qui est sorti il y a un peu plus d’un an aux éditions Pyramides. C’est une toute petite maison d’édition. L’auteur, comme vous le voyez, est un certain Jonathan Carwill. J’aimerais que vous le retrouviez !

Le titre du livre Le projet Janus ne me disait rien. Je retourne le livre pour en lire la quatrième de couverture. Il y avait là un résumé du livre et quelques notes, succinctes, sur l’auteur, apparemment un journaliste qui vivait dans le sud de la France et dont c’était le premier roman. Suivaient quelques extraits de critiques, évidemment dithyrambiques.

— Ce livre a été envoyé anonymement à mon mari.

— Je ne vois toujours pas, dis-je pensivement en reposant le livre sur mon bureau. L’envoi anonyme de livre n’entre pas à l’heure actuelle dans les délits majeurs.

Elle se cale confortablement dans son siège et entreprend de m’expliquer.

— Ce livre est sorti un an avant celui de mon mari, Le dieu aux deux visages qui a obtenu plusieurs prix littéraires et eut un grand succès commercial. Or, l’histoire est la même, le livre de mon mari semble n’en être qu’un plagiat éhonté. Vous voyez le problème qui se profile ?

— J’imagine ! Et qu’en dit votre mari ?

La femme agite nerveusement ses mains sur son sac à main et finit par me demander :

— Est-ce que ça vous dérange si je fume ?

Étant moi-même un fumeur vaguement et insuffisamment repenti, la fumée ne me gêne pas outre mesure et j’hésite à sortir mes propres cigarettes (faites main !). Je lui fais un geste permissif de la main :

— Allez-y, la fumée ne me dérange pas ! Je suis moi-même un fumeur occasionnel.

Elle sort un paquet de cigarettes agrémenté des différentes photos prophylactiques habituelles et en allume une avec un petit briquet doré, en omettant de m’en proposer. Elle expire une longue bouffée et semble se détendre un peu. Je ne pipe pas un mot pour l’encourager à continuer.

— Mon mari est très troublé, vous l’imaginez bien, dit-elle. Il jure ses grands dieux qu’il n’a copié personne et qu’il ignorait tout de ce livre. Malheureusement, les coïncidences sont troublantes, il n’y a que les noms des personnages qui changent, certains passages sont similaires in extenso ! N’importe qui hurlerait au plagiat. Et les critiques ne vont pas s’en priver. Il y a également une coïncidence troublante ! Le nom Jonathan Carwill est celui d’un des personnages de son roman.

— Bien, dis-je, mais quel rôle voulez-vous que je joue dans cette affaire ? Je ne suis pas critique littéraire, et le monde de l’édition est un domaine que je ne connais pas.

— Je m’en doute bien. Mais ce que j’aimerais, c’est que vous me retrouviez qui se cache derrière ce Jonathan Carwill.

Je manipule le livre en réfléchissant.

— Ça ne devrait pas être trop difficile de le retrouver. Je ne pense pas qu’il se cache particulièrement. Ce qui est surprenant, c’est qu’il ne se soit pas manifesté autrement qu’en vous envoyant ce livre. Si c’est lui qui vous l’a envoyé…

Elle agite sa cigarette, cherchant un cendrier que je lui fournis.

— Je n’ai rien trouvé sur Google à propos de cet auteur. Les éditions Pyramides sont une petite structure qui vivote de romans de gare à faible diffusion.

— Vous permettez ? lui demandai-je.

J’attrape mon clavier, mes lunettes, et lance Chrome, le navigateur internet. La page de recherche de Google s’affiche et j’entre le titre du livre. Les réponses s’affichent instantanément et j‘affine la recherche en rajoutant « critiques » au titre. Là encore les réponses défilent. Il m’est facile ensuite de sélectionner les sites les plus appropriés, qui sont peu nombreux. Le livre n’avait visiblement pas fait une grande carrière. Les critiques, peu nombreuses, sont toutes bonnes, quand ce ne sont pas les mêmes et dans la plupart des cas, ce sont des avis postés par les internautes sur des forums qui sont un simple copier-coller les uns des autres. Dans ce domaine, les pillages sont fréquents. Je reviens à ma cliente qui venait d’écraser sa cigarette dans le cendrier d’un geste sûr, qui démontre qu’elle en a l’habitude.

— Effectivement, les critiques sont correctes, mais je suppose que tout cela, vous l’avez déjà fait. Qu’est-ce qu’internet nous apprend sur ce Jonathan Carwill ?

— Pas grand-chose, si ce n’est que c’est un nom utilisé dans un roman allemand. Ça pue le pseudo évidemment, mais seule, je ne peux pas aller plus loin. C’est la raison pour laquelle je suis ici.

Courir après un fantôme, ça, je savais faire, c’était même à vrai dire mon fonds de commerce principal. En plus, ça pouvait être intéressant.

Je décide d’accepter l’affaire. Funeste décision !

— Bon, je veux bien essayer d’y voir plus clair puisque vous semblez sûre de vous. Vous connaissez mes tarifs ? Je suppose que vous avez consulté mon blog ?

Elle hoche la tête et fait un geste de la main qui signifiait grosso modo que ça ne posait pas de problème. Du moins de ce côté, me voilà rassuré et vu le contexte actuel, une affaire est toujours bonne à prendre.

— Je veux bien effectuer quelques recherches, bien que vous vous doutiez que j’aie quelques autres problèmes autrement plus urgents sur les bras. (Ah bon ?) J’aimerais également que vous me donniez votre numéro de portable ainsi que celui de votre mari.

La jeune femme hésite un instant :

— Mon numéro, je comprends, mais pourquoi celui de mon mari ?

— Si je mène des investigations, il me faut un maximum de données, je gagnerai du temps si je dois être amené à joindre votre époux.

Elle tique un peu mais me fournit les renseignements demandés. Il nous reste les quelques formalités nécessaires à l’ouverture d’une investigation. Je lui propose un contrat standard et lui indique l’endroit où elle doit signer, ce qu’elle fait rapidement comme pour se débarrasser d’une corvée. Je range soigneusement les papiers dans une belle chemise cartonnée. Autant avoir l’air le plus professionnel possible. Je lui promets de la rappeler au plus tôt et la raccompagne, humant au passage un parfum qui doit bien valoir la moitié d’un SMIC.

C’est la fin de l’après-midi. Au-dehors, en ce mois de juillet, il fait une chaleur étouffante. Je décide de consacrer le temps restant avant la soirée à commencer mon enquête en pêchant tout ce que je pouvais trouver sur le Web. Plus tard viendrait le temps de m’occuper des numéros de téléphone.


ISBN : 978-2-490091-76-8

20€

 
 
 

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