Une impression macabre
- Vibration éditions
- 11 avr.
- 4 min de lecture
Mano
Roman policier
Extrait :
Noël au balcon. Pâques au tison qu’ils disaient les vieux.
Ils n’avaient pas tort. Depuis les 18° mesurés au balcon le jour de Noël, les jours se sont étirés nuiteux la nuit, gris le jour. Il n’a pas fait très froid. Il n’a pas fait très chaud. Il n’a simplement pas fait beau. Le printemps est arrivé discrètement. Et Pâques fut très frais. Pas de quoi fouetter une pauvre bête, chat ou météorologue. On vit très bien sans soleil. Peut-être pas tous les « on ». Mais moi, oui.
Le dimanche de Pâques, hormis le retour des cloches, fut marqué par le retour de l’heure d’été. Le lundi fut maussade comme une Toussaint.
Et… Et… enfin… ce matin, huit jours après, le ciel est bleu. Selon les augures la journée sera belle. En tout cas pour tous les « on ». Je vais mettre à profit ce bel optimisme pour remettre à sa place madame Germaine Dugland. 08 11 70 36 46 poste 302 pour les téléphonistes, quand elle n’est pas en RTT. Gerdugland@cpamstras.com pour les gens à la page. CPAM du Bas-Rhin, 16 rue de Lausanne 67090 Strasbourg-étoile, pour les handicapés du net. Je me refuse à rembourser à la sécurité sociale une prestation qui m’a été légitiment versée ! Ah mais !
La journée me fait rapidement la gueule. Les objets, assoupis pendant l’hiver, ont décidé d’entamer un mouvement social. Le modem wifi rame. Les courriels s’affichent lettre par lettre. J’ai décidé de rester calme. Confronté à mon internet paresseux, je décide d’en venir à des méthodes plus éprouvées. Je copie et je colle mon recours gracieux sur une page vierge de Word. J’insère une date automatique. Je justifie. Correction automatique… tout baigne… impression… piège à cons !
L’imprimante geint. L’imprimante rugit. Une fenêtre barre l’écran : bourrage. J’essaie de débourrer. C’est pas la gloire. J’ai de l’encre plein les doigts. Ma chemise propre ne l’est plus. Pas moyen de décoincer le problème.
Face à l’amplitude du conflit social qui s’annonce, plutôt que de renoncer, je prends le parti de solliciter la médiation du S.A.V.
Où ai-je mis le carton d’emballage de l’imprimante ?
À la cave bien sûr ! J’habite au deuxième étage. En cette journée de révolte des objets est-ce bien raisonnable de prendre l’ascenseur ? Et ce d’autant plus que, remis aux nouvelles normes, il a hérité d’une voix féminine. Bien que je trouve étrange qu’un ascenseur ait une voix de femme, en homme de mon temps ouvert à toutes les nouveautés, je prends le risque de rester enfermé dans cet ascenseur au genre ambigu pour le restant de la journée. Bien m’en prend. Mon courage est récompensé.
« Sous-sol, ouverture des portes » m’annonce-t-il de sa voix féminine. Et elle ne ment pas. Les portes s’ouvrent. Je descends les cinq marches qui mènent aux caves. J’ouvre la porte en métal numéro sept. Elle donne sur un local ceint de claies de bois brut qui délimitent les caves dites privatives, à savoir six mètres carrés par tête. J’allume la lumière. Mal m’en prend.
Là, devant, à mes pieds, me barrant la route, les jambes écartées, un cadavre gît. Si gésir est le propre d’un cadavre. Gésir là n’est pas propre. C’est qu’il n’a pas l’air des plus frais le bougre. Il est tout boursouflé. Bien que j’aie supporté des conseils de classe en compagnie d’aisselles qui ne sentaient pas la rose, le fumet du décédé ne m’incite pas à poursuivre l’entretien. Il… Pourquoi pas elle ? Son sexe est aussi ambigu que celui de l’ascenseur. Le ou la décédée gît sur le ventre. Je ne vois pas son visage. Il ou elle est en jean. Un jean cela n’a pas de sexe, surtout un jean gonflé comme une outre par une putréfaction avancée… Un point pourtant en faveur de sa féminité : elle a des cheveux rouges courts, façon retraitée qui joue au loto. Pas vraiment une coiffure de mec. Il ou plutôt elle gît dans une flaque brune sur laquelle quelques mouches vaquent à leurs affaires de mouches. Je sais qu’il faut respecter les morts. Mais croyez-moi c’est plus facile de respecter un mort en boîte qu’un mort à l’air libre, surtout un mort qui a déjà beaucoup pris l’air.
Je décide de ne toucher à rien. On ne me la fait pas. Je regarde la télé moi. J’ai vu plus d’un innocent se faire condamner parce qu’il était propre et ordonné. L’un purge une peine à perpétuité dans le New Hampshire parce que, soucieux que l’on ne juge pas mal sa défunte femme qui était tombée dans l’escalier, il avait nettoyé le carrelage à la serpillière. Il paraît qu’il aurait dû laisser la mare de sang. Il aurait effacé des preuves et patati et patata. Entre nous, avec ou sans son sang par terre, sa pauvre femme était bien morte. Possible qu’elle était morte parce qu’elle avait perdu son sang. Probable aussi que le sang répandu sur le carrelage ne l’aurait pas ramenée à la vie. De toute façon il était trop sale pour être utile à quiconque, à la défunte ou à un anémique. Eh bien non. Cela n’a pas plu au shérif du comté. Cela n’a pas plu à la belle famille. Et tout ce beau monde n’a eu de cesse que de l’envoyer au pénitencier.
Un autre, en Suisse je crois, a été jugé coupable d’avoir porté sa défunte belle-mère sur son lit, ce qui, reconnaissons-le, est plus convenable que de la laisser gésir par terre. Lui aussi en avait rajouté une couche en lavant le sol. Je pourrais multiplier les exemples à la pelle.
Alors pas fou le bonhomme. Tant pis pour le désordre, je ne touche à rien. Je ferme la porte. Je remonte à l’appartement et j’appelle les flics :
« Allô la police ?
— Bonjour ici la Police nationale…
— Bonjour monsieur je viens de découvrir un…
— … dans le cadre d’une démarche de qualité cette conversation est susceptible d’être enregistrée. Si vous voulez signaler un accident corporel veuillez composer le 15. Si vous voulez signaler un incendie veuillez composer le 18. Nous vous rappelons que tout appel injustifié peut être l’objet de poursuites à votre encontre. Ne quittez pas, nous allons donner suite à votre appel… Ne quittez pas, nous allons donner suite à votre appel… Ne quittez pas… »
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